Quand Koriass a fait une reprise de C’est rendu F.U. (fucked up) d’Yvon Krevé (en 2014, je crois?), j’ai été vraiment surpris de me rappeler de plein de lignes classiques de la toune, à mesure que j’écoutais son cover. « Sinon, si c’est fini quand c’est fini, c’est con »… wow! Pourtant, je n’avais pas l’album L’Accent Grave d’Yvon, en 2000. C’est ça qui est le plus bizarre. Pourquoi est-ce que je connais les paroles d’un disque que je n’avais pas?

La réponse est simple et elle parle beaucoup. C’est rendu fucked up jouait dans nos partys - oui, jusqu’à Rouyn-Noranda -, elle jouait dans les chars de mes chums, elle était sur nos mixtapes. Je réalise que cette omniprésence de la toune est un indicatif assez clair de son importance. Ça illustre comment une oeuvre devient un classique, comment elle fait son chemin dans la culture populaire, dans l’inconscient collectif.

L’époque de l’explosion

Fin quatre-vingt dix/début deux mille, alors que le rap queb explosait, le vinyle était loin d’être le support musical le plus populaire. Ça explique entre autres pourquoi un album aussi populaire que La force de comprendre de Dubmatique n’est jamais paru en vinyle au Québec. Il est paru en France seulement. Un rare maxi 12 pouces a été lancé au Québec, mais ça ne court pas les rues de nos jours. 514-50 dans mon réseau de Sans Pression a été imprimé en vinyle, mais les copies pressées n’ont pas été nombreuses. Voilà pourquoi aujourd’hui c’est une rareté qui vaut une belle petite somme.

En ce qui concerne Yvon Krevé, qui a peut-être été un peu moins populaire que Dubmatique et Sans Pression, sa musique a été gravée sur un seul vinyle, le single 12 pouces qui rassemble les pièces C’est rendu fucked up et Gro$ Bill$. Ça a été lancé en 1999, c’est-à-dire quelques mois avant que l’album complet ne paraisse et que le vidéoclip de la chanson intitulée Yvon Krevé ne commence à passer à MusiquePlus.

Faut le dire, c’est à partir du succès de ce clip, en 2000, qu’Yvon a été consacré parmi les gros noms du rap queb. Et quelle track! Le refrain te colle tout de suite au cerveau. « Ceux qui font du bla bla bla, Yvon Krevé! Ceux qui font du talk caca, Yvon Krevé! Ceux qui font du rap de tata, Yvon Krevé! »… as good as rap queb gets!

Une réédition

Fast forward, 2020. L’étiquette de disques Je me souviens, habituellement spécialisée dans la réédition d’albums punk québécois perdus, donne une deuxième vie à L’Accent Grave, en vinyle et en CD, question de souligner le 20e anniversaire de ce classique. Ça me donne l’occasion de revisiter l’album en détail, avec le recul nécessaire.

En tant que geek de musique, j’aurais voulu que cette réédition nous offre un gros livret avec toutes les paroles, des photos d’archives puis même un DVD-ROM (lol), tant qu’à y être. Mais non, on s’en tient au artwork original. C’est pas si grave, parce que je dois dire que le pressage du disque est fait avec qualité et c’est ça l’essentiel. Les basses sortent admirablement bien sur mon système de son. Et ça m’a porté à me tourner vers la production, à savoir qui faisait les beats d’Yvon.

Les gros noms derrière Yvon

Ça m’a frappé! L’Accent Grave nous présentait plein d’artistes qui allaient devenir énormes dans les années 2000. Puis il rassemblait aussi des noms importants des années 1990.

Premièrement, le beat de C’est rendu fucked up est une création de DJ Choice. Oui, le DJ et beatmaker de Dubmatique. Mais attention, faut pas s’arrêter au succès commercial de Dubmatique pour évaluer la pertinence d’Alain Benabdallah, alias DJ Choice. Il nous a donné certains des meilleurs beats du rap queb des années 1990, de Zero Tolerance à Yvon Krevé, en passant par Dubmatique et Shades of Culture.

Deuxième surprise : Dave One. Whoa! Dave One, alias David Macklovitch, de Chromeo! Chromeo, le groupe électro funk montréalais qui est devenu énorme sur la scène internationale à partir de 2007. C’est lui qui a produit le beat de la chanson qui a connu le plus de succès sur l’album : Yvon Krevé. Faut dire que Dave One a aussi produit de grosses tracks pour Shades of Culture (leur grand hit, Mindstate), ainsi que pour Dubmatique et Sans Pression (La puff qui défonce). Bref, le gars était bien impliqué dans la scène hip-hop montréalaise des années 1990.

Troisième surprise, A-Trak a aussi produit une chanson sur L’Accent Grave, Les rues sont énervées. C’est le petit frère de Dave One. On se souvient que A-Trak avait gagné une importante compétition internationale de DJ à la fin des années 1990. Il avait aussi travaillé avec Shades of Culture auparavant. Quelques années plus tard, A-Trak est devenu DJ pour Kanye West - oui, oui! - puis il a fondé l’étiquette Fool’s Gold records (Danny Brown, Kid Cudi), et il est maintenant un joueur majeur dans le monde du hip-hop à l’international.

Les vétérans locaux

C’est donc dire qu’Yvon Krevé a travaillé avec des gars qui se sont nettement démarqués! Mais il ne faut pas oublier tous les autres qui sont présents là-dessus qui ont marqué la scène locale. Je pense à Ray Ray qui a aussi signé la majorité des beats sur 514-50 dans mon réseau ou encore à 01Étranjj qui était très présent à cette époque là (il fait aussi un feat sur Franglais street slang de Sans Pression). SP lui-même offre un featuring sur la pièce La vie c’est court. On peut aussi nommer DJ Manspino qui a été très actif à Montréal dans les années 90 et 2000 (il a même travaillé avec SoCalled en 2006!), Mr. Vane qui a produit pas mal de trucs (Sans Pression, Le Cerveau, etc.) ainsi que Fang, MC présent dès le milieu des années 90.

Une fois décortiqué, L’Accent Grave se révèle être un polaroid ultra-pertinent de la scène hip-hop québécoise de cette époque.

Photo : L'Accent Grave

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