On oublie souvent de mentionner l’apport de Complys quand on fait le point sur le premier âge d’or du rap québécois. Pourtant, le groupe formé de C-Drik, L’Queb (alias Davy) et D.B.G. a été l’un des premiers à s’exprimer en joual sur la scène rap locale. Vingt ans après la sortie du premier (et dernier) album du trio, le légendaire Avertis tes chums, on revient sur l’histoire et l’impact de Complys.

Tout s’amorce sur la Rive-Sud de Montréal au milieu des années 1990.

D.B.G., compositeur renommé dans l’underground du rap québécois, travaille sur un projet de compilation visant essentiellement à mettre en lumière le talent du rap de Montréal et de sa couronne sud. «J’avais une chanson solo là-dessus, pis Davy aussi. Pour D.B.G., c’était clair qu’on fittait bien ensemble... On avait la même couleur!» lance C-Drik, en riant. «On s’est rencontrés et ça a matché tout de suite.»

Même si elle ne sortira finalement jamais, la compilation permet à C-Drik et Davy d’apprendre à se connaître musicalement. Complys naît peu après, en 1997. «Le premier show qu’on a fait, c’tait au Jungle sur Saint-Denis. Ça avait bumpé. Je pense qu’on était les deux seuls Blancs dans la salle», se rappelle C-Drik. «On avait un accent différent, un accent joual. On était deux Blancs avec notre accent, notre humour. C’était une nouvelle touche, ça amenait de quoi de nouveau.»

«Ce show-là au Jungle, on était effectivement les deux seuls Blancs», confirme Davy. «On était dans le line-up pour passer, on attendait sur le bord de la scène. C’est Stratège qui animait, et il faisait passer plein de groupes avant nous. C’était long! À un moment donné, je suis allé lui prendre le micro. Un peu comme pour dire : ‘’C’t’à nous autres!’’ Il nous a fait un air bizarre, il était pas super down, mais finalement, on a performé. Et la foule a tripé.»

«Je pense que ce qui a fait qu’on était respectés [par la scène], c’est qu’on essayait pas de rapper comme [les Noirs]» poursuit Davy. «On était pas wannabes, on était nous-mêmes. Ça aurait pas du tout passé sinon.»

Motivé par cette première apparition sur scène, Complys multiplie les spectacles et les concours rap à la fin des années 1990, et obtient un certain succès avec sa première chanson, Le trouble. Le trio devient peu à peu la sensation de l’heure dans l’underground, allant jusqu’à retenir l’attention de médias culturels comme Voir. «On était partis pour la gloire… La grosse gloire du hip-hop!» ironise C-Drik.

La sortie de Gang Bang!, pièce produite par DJ Horg, confirme l’engouement. «Horg habitait à côté du métro Papineau. Il avait un petit appart avec un petit studio. Il nous a sorti ce beat-là avec un sample de Passe-Partout. On était comme : ‘’WOOOOOOOOOOOOOO!’’ On a commencé à écrire live», se souvient Davy.

«La toune a pogné pas mal, en show et dans les radios», ajoute son acolyte. «On se faisait remarquer pas mal partout où on allait. C’était assez frais comme style.»

Malgré le hype, Complys met du temps à enregistrer plus sérieusement un premier album. «On était des jeunes rebelles, on tripait beaucoup», explique Davy. «Oui, on faisait ça sérieusement, mais y’avait beaucoup de laisser-aller. Personnellement, j’ai eu des passes assez fucked up.»

Le groupe tente de trouver un contrat de disque, mais en vain. «Les portes étaient pas mal fermées [pour le rap en général]. Muzion a été dans les premiers à avoir son gros contrat (avec BMG), mais nous, on était trop vulgaires, moins grand public. On a essayé d’aller cogner à des portes, avant de choisir de s’autoproduire», explique C-Drik.

Mais évidemment, autoproduire un album au tournant des années 2000 coûte plutôt cher. «Ça coûtait au moins 15 000$. C’était de l’enregistrement sur bobine. Et c’était dur de trouver du financement», poursuit le rappeur.

En 1999, une chanson en particulier viendra aider le groupe à financer son projet : Puff Puff Give!. «Là, ça a vraiment décollé», observe C-Drik. «On a commencé à jouer encore plus dans les radios (comme CIBL et CISM). Notre dossier de presse a grossi, on avait plus d’ouverture, plus de portes qui s’ouvraient. On a eu des commanditaires, des gens qui nous ont backé de l’argent. On a aussi été chercher les subventions Jeunes volontaires [programme gouvernemental visant à soutenir les jeunes entrepreneurs].»

C’est au studio de D.B.G., situé à Longueuil, qu’Avertis tes chums prend forme. À raison d’une journée par semaine (le samedi pour être plus précis), le trio se rencontre là-bas pour «écrire, pratiquer, enregistrer». Au terme de plusieurs mois, l'album est enfin finalisé. «On avait tellement de tounes, on a juste pigé dans le tas», résume C-Drik. «En fait, je pense qu’on avait un album de prêt avant même d’avoir [le financement] pour l’album. Mais on voulait prendre notre temps, enregistrer des nouvelles tounes.»

L’album sort en octobre 2001, environ cinq ans après la formation du groupe. Un laps de temps un peu trop long, selon Davy. «À quelque part, on a perdu notre momentum. Y’a eu du laisser-aller», insiste-t-il, ajoutant qu’il avait déjà la tête ailleurs à l’époque. «J’avais pratiquement laissé Complys [quand l’album est sorti]. Je chillais avec des gars de Saint-Michel. Et y’a une occasion qui s’est présentée à moi juste après.»

Danseur de métier, Davy accepte alors l’offre d’un producteur français, qui veut créer un nouveau boy band de l’autre côté de l’Atlantique, notamment dans le but d’accompagner la chanteuse pop Lorie sur scène. «J’en avais ras-le-bol du rap à ce moment-là. Pas du rap, mais du rap game!» précise le rappeur. «C’était l’occasion rêvée de crisser mon camp d’icitte. Peut-être que j’aurais fini en dedans si j’tais resté ici. C’était pas bon. Je voulais me reprendre en main [...] Et j’ai bien fait, car la France, ça a changé ma vie. Avec mon groupe, on a fait les premières parties de Lorie dans des salles immenses. J’ai fait ma vie quatre ans là-bas, comme chanteur et danseur. J’ai même failli me battre avec JoeyStarr dans un party organisé par Sony Musique!»

De son côté, C-Drik reprend sa carrière solo, sans être trop affecté par le départ de son collègue. «Davy a toujours été de même : tu peux avoir un projet avec lui, et le lendemain, tu sais pu où il est. C’est le genre de gars de même [...] Moi, j’ai toujours été à mon affaire. Tourner en rond, ça m’intéresse pas. J’avais même déjà prévu le coup, en sortant mon premier projet solo (6 tracks de trop) avant celui de Complys.»

Malgré les circonstances qui ont terni son rayonnement à sa sortie, Avertis tes chums reste un album classique du rap québécois du tournant des années 2000. «Des fois, je vois des tops avec Muzion, Sans Pression et cie, et je trouve qu’on oublie beaucoup Complys. Mais je suis pas prêt à dire qu’on a été sous-estimés», nuance C-Drik.

Vingt ans après sa sortie, l’album a toujours une place bien spéciale dans le cœur des deux rappeurs. «Je suis quelqu’un qui a de la misère à réécouter ses anciennes affaires, mais quand je retombe sur un single comme Avertis tes chums, je trouve que ça a bien vieilli», indique Davy. «Ça respecte l’époque dans laquelle ça a été enregistré.»

«Quand je le réécoute, je suis fier. Ça s’entend que c’est un album qui a été bien travaillé dans les détails», se félicite C-Drik. «C’était un album fait pour les grosses ligues.»

Photo : Complys (Facebook/Complys)

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