Paru au début de l’été 2000, 6 tracks de trop… a permis à C-Drik de connaître un succès underground assez enviable pour son époque. Propulsé par le classique rap québécois La loi du moindre effort, le tout premier EP de ce pionnier du rap en joual bénéficie maintenant d’une version numérique, parue il y a quelques heures sur le compte Youtube des Productions Organizés. L’occasion était parfaite pour rejoindre le principal intéressé, qui réside à Saint-Constant depuis plusieurs années.

«Pour vrai, j’avais même pas pensé au 20e anniversaire avant que vous me le rappeliez», admet C-Drik, qu’on rejoint au téléphone sur l’heure du souper en pleins préparatifs culinaires. «J’hésitais entre le steak et les saucisses italiennes, donc entre temps, j’ai choisi de décongeler des crevettes. Ça va me donner du temps pour réfléchir… et pour faire l’entrevue.»

Bref, on a un peu de temps devant nous, donc aussi bien remonter jusqu’au début : 1991, année du premier show de C-Drik à Saint-Lin, la ville où il a passé une bonne partie de son adolescence. «J’avais 17 ans et j’ai participé à un spectacle de mon école. C’était un peu BS, mais c’est là que ça a vraiment commencé», dit-il avec son autodérision habituelle. «Avant ça, je rappais aussi, mais c’était en anglais. Je me rappelle avoir enregistré un rap dans lequel je récitais des règlements de Monopoly sur du beatbox. J’ai fait le switch en français quand j’ai entendu MC Solaar.»

Le rappeur né à Montréal-Nord revient dans la métropole au milieu des années 1990. C’est là qu’il enregistre son premier demo cassette, qui obtiendra un certain rayonnement dans les radios de campus, notamment grâce au single Rouler, allumer, fumer, décoller. Loin de rejeter son accent québécois, comme quelques rappeurs d’ici le feront quelques années plus tard en tentant de copier la tendance rap française, C-Drik y présente déjà un rap au joual assumé. «J’ai jamais embarqué dans le vibe du rap avec l’accent français. J’ai toujours trouvé ça super wack! Pour moi, le rap ça vient du street, donc ça doit représenter la manière dont tu parles.»

La cassette arrive entre les mains d’un certain KC LMNOP, qui lui offre de faire la première partie de son lancement d’album aux côtés de Dubmatique. «C’est le moment le plus important de ma carrière. J’avais juste amené une toune. KC était un peu découragé...» se rappelle-t-il, en riant.

Dans la foulée de la création de Complys avec L’Queb, C-Drik fait une autre rencontre déterminante : celle de Meche, jeune beatmaker qui deviendra son bras droit pour la conception de son premier projet solo. «On l’a pogné à 15 ans, d’abord pour faire les backs de Complys. Il devait avoir 18-19 quand on a commencé à enregistrer 6 tracks de trop… dans le garde-robe chez lui, entre deux boîtes de carton. On a quand même travaillé fort pour deux amateurs.»

«Fort» mais pas non plus «trop fort», si l’on se fie au texte de La loi du moindre effort, chanson qui, à elle seule, donnera à ce mini-album ses lettres de noblesse. «Disons que c’était l’époque où je chillais pas mal, où je me pognais le cul. Le genre d’attitude que tu peux avoir quand tu paies un loyer avec huit colocs. J’ai toujours été assez nonchalant, je l’avoue. J’ai fait le ¾ de mes shows tout croche, parfois complètement saoul sur scène, à me rappeler de mes paroles à moitié. On m’a souvent comparé à Plume d’ailleurs.»

Malgré cette nonchalance emblématique, C-Drik prend le rap très au sérieux au tournant des années 2000, comme en témoigne le texte de R.A.P. Music. «J’aime mieux mourir que de me retrouver dans un Mcdo / À faire des frites pis des Big Macs / Ma vie, c’est le rap / J’travaille mon shift 24 heures sur 24», y rappe-t-il avec son redoutable flow nasillard. «De 20 à 24-25 ans, ma vie était 100% rap. J’avais des petites affaires on the side pour survivre, mais j’étais entièrement concentré sur ma musique. Avec les années, j’ai réduit mon temps. Au lieu de sortir du studio à 3 heures du matin, je sors à 3 heures de l’après-midi, juste avant de starter le souper.»

Dans la pure tradition du battle rap, la chanson Ça sent l’fake traduit bien l’importance qu’accorde C-Drik à l’authenticité, valeur indissociable de la culture hip-hop. «Je visais pas une personne en particulier. C’était plus at large pour pointer les fakes», dit-il, à propos de cette pièce qui bénéficie d’une production aux teintes électroniques assez avant-gardistes de Meche. «J’ai toujours aimé les beats hors-norme. Meche était content parce que personne d’autre voulait ce genre de beat-là.»

Avec son ambiance plus festive, Jump dévoile une autre facette du rappeur. «C’était mon clin d’oeil à Jump Around, un banger fait sur mesure pour les shows. Je pense qu’overall dans ma carrière, j’ai fait quatre chansons avec le mot ‘’jump’’ dans le titre», observe-t-il, en riant. Dans un genre similaire, On fout l’bordel (produite par DBG) met en vedette son collectif de l’époque, Le Team. «C’est un peu l’ancêtre des Chiefs ou de 12 Singes. C’est notre premier single de groupe, et on voulait que ce soit un gros anthem.»

En collaboration avec Le Cerveau, un vieil ami du primaire qu’il avait perdu de vue durant son escale à Saint-Lin, la pièce Biatch complète le mini-album avec un message un peu plus discutable. «Je la réécrirais pas de même en 2020, cette chanson-là», admet-il. «C’était l’époque où tous les albums de rap avaient une toune de bitchs. La seule différence, c’est que notre chanson, elle parle d’une femme imaginaire. On visait personne en particulier.»

Après plus de six mois de travail, C-Drik fait paraître ce premier opus solo en magasin, même si le format du EP n’est pas particulièrement en vogue à l’époque. Quatre des six chansons seront d’ailleurs reprises telles quelles sur son deuxième projet, 6 tracks de trop… la suite. «J’devais sûrement être cassé pour juste sortir six tounes de même… Je m’en rappelle pas pour être honnête.»

Avec des ventes qui dépassent les 1000 exemplaires, 6 tracks de trop… intéresse quelques médias de l’époque, notamment Voir qui lui octroie une note de 3,5/5. «C’est vraiment l’album qui a tout fait décoller pour moi. J’avais une belle gang en arrière de moi.»

Vingt ans après la sortie, C-Drik se dit toujours aussi fier de ce premier effort. «Je me réécoute pas souvent, mais celui-là, je trouve toujours que c’est un classique. Y’a pas mal de tounes qui ont roulé et dont on me parle encore à ce jour. C’est bon signe.»

Photo : Archives C-Drik

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