Retour sur le panel 20 ans de hip-hop québécois - Esthétiques et Trajectoires

Samedi dernier, dans les locaux du Ausgang Plaza, se réunissaient quelques artistes, créateurs et diffuseurs pour faire le point sur le hip-hop québécois 20 ans après la sortie des albums phares Mentalité Moune Morne de Muzion et 514-50 dans mon réseau de Sans Pression.

Sous l’initiative de l’équipe d’Échantillons et devant une audience curieuse, actrices et acteurs du milieu ont discuté de l’avenir du rap québécois. Est-ce que le rap queb a encore quelque chose à dire aujourd’hui ?

La diffusion

Les doyens Dice B et Imposs ont expliqué en début de panel que le « rap jeu » n’est clairement plus le même qu’à leurs débuts. « Il fallait se faire voir, se déplacer, les contacts étaient inévitables, on devait passer par les radios communautaires ou Musique Plus », précise Dice B. Les artistes devaient se faire valider par la radio pour être diffusés.

La réalité est tout autre avec les médias sociaux où l’on peut y créer sa propre tribune. « Avec le virtuel, tout le monde a sa chance » explique Impos. Lui et ses acolytes de Muzion ont tapissé Montréal de posters, distribué des flyers, c’est par le bouche-à-oreille qu’ils se sont fait connaître.

DJ White Socks, que l’on peut entendre à Pôle Hip-Hop sur CHOQ.Ca, affirme qu’il y a quelques années, diffuser du rap à la radio revenait à un choix politique. Avec la popularité de ce style et les plateformes telles que Spotify, l’accès au hip-hop est plus facile et démocratisé. Pour Olivier Boisvert-Magnen alias Riff Tabaracci de l’émission On prend toujours un micro pour la vie sur CISM, le rap est devenu partie intégrante de la radio, ce n’est plus juste l’apanage de créneaux spécialisés.

Quête identitaire

Le rap québécois pour certains panelistes s’inscrit dans les années 1990 dans un contexte de quête identitaire pour la communauté noire montréalaise. « En tant que fils d’immigrant, faire du rap était la seule identité qu’on avait », confit Dice B. Pour lui, le hip-hop était une façon d’être. Il ramenait des cassettes des États-Unis pour écouter avec ses amis à Montréal, c’était une musique qui le représentait. Pour Imposs « faire du rap est un rapport socio-politique, c’est faire partie d’une discussion sociale qui nous concerne ».

Le hip-hop est une véritable culture qui a permis à plusieurs jeunes d’être représentés. Les vétérans refusent que les rappeurs actuels se fassent la guerre entre les différents styles que l’on peut entendre aujourd’hui. Tout le monde à sa place. « Si on se fait la guerre, c’est la culture qui écope », poursuit le membre de Muzion. Pour lui, les sujets ne sont plus les mêmes, mais la musique demeure tout aussi pertinente. Plusieurs talents sont en émergence, le milieu est bouillonnant. Pour Imposs, il y a une industrie, une vraie scène. La division entre le rap conventionnel et le rap actuel est inutile.

Le rap est nécessairement social

DJ ASMA, chroniqueur et journaliste notamment collaborateur chez HHQc.com, explique que le rap conscient est lié à des injustices que vit la jeunesse dans les quartiers défavorisés de Montréal, ça permet de créer des liens avec les villes, entre les quartiers. Malgré un accès plus facile au rap, ASMA clame que le rap a besoin de connexions humaines et de lieux rencontres. Il n’y pas de rap sans évènement.

Sarahmée, rappeuse montréalaise originaire du Sénégal et active depuis 2009 explique que le rap permet de dénoncer les injustices. Il s’incarne dans la société et les enjeux d’actualité. Les paroles témoignent de la réalité de l’artiste. Boisvert-Magnen poursuit que si l’on pense au « brag rap », l’engagement y est, il devient simplement plus subtil. On peut retrouver quelques lignes plus personnelles dans une multitude de sujets. Il suffit de s’attarder à la façon subversive dont se présente Souldia et à la réappropriation de symboles du Bas-Canada par Alaclair ensemble.

Les panelistes ont souligné le grand succès commercial de la chanson « Libérez-nous des libéraux » de la formation Loco Locass. Une chanson engagée, devenue symbole d’une lutte étudiante contre la hausse des frais de scolarité en 2005.

On comprend que si le rap est désincarné de la réalité de l’artiste, il ne sera que commercial, que pour faire de l’argent, et c’est là qu’on va perdre la richesse de la culture hip-hop, que l’on s’éloignera de la fonction sociale du rap.

Les femmes dans le rap

Pour Sarahmée, co-porte-parole de la 23e édition des Francouvertes, on ne devrait pas parler de rap féminin, « Le rap féminin n’est pas un genre, ça n’existe pas, c’est du rap tout simplement », s’exprime-t-elle. La rappeuse ne s’est jamais sentie exclue du rap-jeu, elle n’a fait que prendre sa place. En qualifiant le rap que font des femmes de « rap féminin », on les stigmatise et c’est nuisible, on les associe à leur genre plutôt qu’à leur style musical.

Le milieu deviendra nécessairement plus inclusif au fur et à mesure qu’une diversité d’artistes témoignera de leurs réalités. Le milieu doit travailler à créer des espaces pour enrichir la culture. Il suffit de penser aux collaborations anglo-franco, aux événements réunissant vétérans et talents émergents.

Et maintenant ?

Le rap est partout, il est plus accessible. On peut apprécier une variété de styles dans le flow, le son et les codes. « Il s’agit d’un rap décomplexé » témoigne Riff Tabaracci. Les panelistes s’entendent aussi sur la nécessité de transmettre les savoirs aux jeunes. Pour eux, c’est problématique si un jeune embarque dans le mouvement sans connaître les bases. Il y a un travail d’éducation à faire. « Il faut que ça soit les bonnes personnes qui parlent du rap, faut savoir de quoi on parle » argue ASMA. Imposs affirme d’emblée que si les vieux rappeurs abandonnent, c’est la culture qui va mourir.

Un son du Québec

La richesse de la culture québécoise permet de fabriquer un son unique dans l’univers hip-hop. Pensons aux communautés culturelles présentes sur le territoire, à la proximité entre les anglophones et les francophones. « On parle notre hip-hop comme on parle notre langue », poétise le membre de Muzion. Les beatmakers témoignent aussi des sonorités québécoises, l’identité n’est pas que dans le texte.

Les panelistes s’entendent pour dire que le milieu doit créer des espaces accueillants, ancrés dans les quartiers. La fonction sociale du hip-hop est de rassembler les individus. Avant de propulser un Drake québécois, il faut d’abord faire du bruit chez soi, être sur le territoire, connaître les bonnes personnes et supporter nos structures et plates-formes.

Les organisateurs du panel ont fait le choix circonscrire la discussion aux 20 dernières années du rap queb, que l’on pourrait associer à sa 2e vague. Il aurait été pertinent de cartographier le rap d’ici dès son émergence. Notons que le hip-hop prend plutôt racine au Québec dans les années 1980 sous l’influence du rap américain. Le contexte politique n’est pas le même qu’il y a 35 ans, il est donc tout à fait normal de retrouver un rap plus évasif, plus fly et égocentré. L’identité québécoise est fluide, les rappeurs et rappeuses font de la musique de leur temps dans l’évanescence de l’auto-tune sans pour autant évacuer le commentaire social.

Crédit photo : Paméla Lajeunesse (Nightlife.ca)

Page d'accueil