Mercredi dernier arrivait sur les tablettes de toutes les librairies québécoises l’essai Philosophie du Hip-hop. Des origines à Lauryn Hill. L’auteur, Jérémie McEwen, propose de faire de la philosophie autrement en prenant pour objet d’étude le hip-hop américain.


Photo: Jacques Nadeau - (Le Devoir)

Jérémie McEwen est enseignant au Cégep Montmorency et il offre le cours Philosophie du hip-hop depuis quatre ans. Devant l’intérêt et la curiosité suscités pour son cours, l’enseignant a décidé de présenter ses réflexions philosophiques à un plus large public.

McEwen s’est d’abord lancé dans l’aventure « pour devenir la personne que j’ai toujours été, d’un seul souffle », explique-t-il en entrevue téléphonique. « Souvent, je rentrais en classe et j’avais l’impression qu’il fallait que je mette mes intérêts musicaux sur pause ou j’étais dans une soirée hip-hop et j’avais l’impression que je devais mettre la philo sur pause ».

Le livre Philosophie du hip-hop, c’est le regard d’un enseignant, d’un artiste et d’un passionné. L’auteur, lui-même rappeur, connaît le milieu et les codes, il utilise les canons de la philosophie occidentale pour analyser des œuvres mythiques ayant marqué l’histoire du hip-hop. Tout au long de l’ouvrage de 275 pages, on suit l’auteur à travers ses réflexions théoriques sur les quatre éléments fondateurs de hip-hop : le DJ, le graffiti, le break et le rap.

L’enseignant vulgarise la philosophie pour la rendre accessible. Il a choisi un élément phare de la culture contemporaine pour nous inviter à réfléchir au monde qui nous entoure. Le livre s’adresse d’abord aux adeptes de hip-hop. Il souhaite faire dialoguer les fans de hip-hop avec les fervents de philosophie. Son essai est un prétexte pour favoriser le contact intergénérationnel et pour échanger sur l’évolution du rap des dernières décennies.

La philosophie des rappeurs

Avec l’étude poussée d’œuvres marquantes, McEwen est arrivé à la conclusion que les rappeurs se présentaient eux-mêmes comme des philosophes. « Ne serait-ce que parce que c’est une forme d’art parlé, les rappeurs font des discours qui semblent éminemment philosophiques », souligne à juste titre l’auteur.

Son exemple clé est celui de Tupac Shakur qui s’est directement inspiré des idées du penseur Machiavel pour écrire ses textes de rap allant même jusqu’à utiliser le surnom de Makaveli à sa sortie de prison. « La vie de voyou [thug life] est tout sauf apolitique », peut-on lire dans le chapitre consacré à la légende du rap américain.

Hip-hop studies

McEwen souhaite contribuer au mouvement hip-hop en démontrant que la pensée des rappeurs et aussi significative que celle des grands noms de la philosophie. L’enseignant rend intelligible une culture qui n’est souvent comprise que par ses stéréotypes. En décodant les clichés, on arrive à saisir la compréhension du monde de certains artistes. McEwen, en entrevue avec HHQc, illustrait que la typique chaîne en or dans le cou est un code visuel pour signifier « je me suis sorti de mes conditions matérielles ».

L’auteur mentionne que, contrairement aux États-Unis ou à la France, les hip-hop studies sont peu développées au Québec. « Le hip-hop québécois vit ses plus beaux moments ever depuis son premier âge d’or à la fin des années 1990 », indique-t-il. McEwen souhaite que le Québec effectue un rattrapage dans l’étude de cette culture urbaine. Pour lui, il est possible de mieux comprendre notre société par le prisme de l’étude de textes de rap.

Le respect des artistes

Comme le souligne l’artiste Webster dans la préface du livre, McEwen injecte une dose de crédibilité intellectuelle et académique au mouvement hip-hop. L’auteur ne tombe pas dans le piège de certains théoriciens des hip-hop studies, il ne s’élève pas au-dessus de son objet d’étude. Il se met sur le même pied d’égalité que les artistes.

« Ce n’est pas moi qui essaie d’imposer la philosophie sur le hip-hop, mon travail c’est d’aller chercher ce qu’eux [les artistes] revendiquent déjà », précise le prof de philo. Il ne juge pas les artistes et ne les encense pas non plus. Il s’en remet à leurs philosophies dans tout ce qu’elles ont de complexes et paradoxales.

Les rappeurs n’ont pas besoin de hip-hop studies pour exister, mais ils ont besoin d’auteurs pour analyser leurs textes et présenter leur vision du monde à un large public. McEwen réussit cet exercice avec brio.

Soulignons la place laissée aux femmes dans l’univers du hip-hop dans l’essai de l’enseignant de philosophie. Il analyse la misogynie profonde au cœur du hip-hop en expliquant l’histoire de Roxanne Shanté. Dans les années 1980, le milieu musical l’a relégué à être une female MC, étiquette agissant comme sous-classe du rap. Pourtant, Shanté aspirait à être la meilleure MC indistinctement de son genre.

La suite

L’auteur McEwen, également journaliste et chroniqueur, souhaite maintenant poser un regard philosophique sur le rap local, la musique urbaine francophone et anglophone. Il mijote également un projet sur la pensée de Kanye West. Le rappeur américain annonçait l’an dernier qu’il se lancerait dans l’écriture d’un bouquin de philosophie.

Le lancement de Philosophie du Hip-hop. Des origines à Lauryn Hill, paru aux Éditions XYZ, aura lieu ce soir, 26 août 2019, à Montréal à 17 h à la Librairie Gallimard.

Illustration : Vincent Rochette

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