J'ai trouvé qu'il régnait une atmosphère différente lors du passage de Loud à TLMEP dimanche dernier. Une atmosphère adaptée, de nervosité quasi palpable. Comme si les animateurs étaient intimidés par la présence du rappeur québécois. Fallait pas qu'ils manquent leur shot. Au lendemain d'un entretien avec une étoile montante du rap franco, les adeptes et artisans du genre peuvent faire montre d'une grande intransigeance à l'égard des hôtes de l'émission qui ne souhaitent surtout pas être taxés de mononclitude. S'attirer le titre de risée de la semaine sur les médias sociaux dans un cas comme celui-là est un risque plutôt élevé.

Ce qui devait arriver arriva. En voici la preuve.

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UN PASSAGE À TLMEP IMPROBABLE

Le succès récent de Loud n'a rien d'ordinaire. Bon nombre des vedettes reçues à l'émission doivent une part de leur réussite à au moins un — sinon plusieurs — facteur facilitant l'ascension et le maintien au sommet. De ceux-là, des humoristes de la vieille garde s'étant recyclés en animateurs et/ou participants récurrents de quiz télé ($$$$$$$). Des chanteurs impatients qui ont emprunté la voie rapide des concours télévisés. Des chanteurs insatiables devenus coachs à La Voix qui espéraient plus qu'un succès d'estime dans les iPods des férus de musique. Des chanteurs que Radio-Canada ne cesse de couvrir de faste, de prestige et d'éloges, sacrés révélations de l'année, signés sur les plus grands labels après seulement trois mois d'activité sur la scène émergente, nommés dans d'innombrables galas et leur tronche placardée d'une station de métro à l'autre à la grandeur de la métropole, ligne bleue comme orange.

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De belles gueules interchangeables qui, faute de pouvoir se réinventer, saisissent à peu près toutes les opportunités qui passent depuis les 2-3 dernières décennies pour échapper à l'évanouissement. Celles qui connaissent un regain aussi surprenant que fulgurant de popularité après qu'elles eurent formé un power couple avec une autre figure estimée du grand public : mariage, grossesse, accouchement et premiers soubresauts de bébé assurent des mois à faire la page couverture de magazines à potins. Les inutiles qui réorientent leur vie publique en fonction d'un trouble, d'une maladie ou d'un accident.

Et là t'as un gars comme Loud qui débarque. Un passage à TLMEP improbable, disons-le. Drogue forte, antidépresseur et vanité étaient des thèmes récurrents sur les premiers efforts de Loud Lary Ajust. De quoi faire paniquer les recherchistes. Même si Loud n'était pas celui des trois qui faisait l'apologie des drogues dures (en plus d'avoir admis plus tard n'avoir jamais fait de cocaïne), il traîne avec lui l'héritage de Gullywood. Au sens où, même si la musique évolue et gagne en maturité, rien de ce qu'il a fait dans les dernières années n'est parvenu à dénaturer le personnage, à le décontaminer tout à fait de l'époque LLA.

PAS DE FLAGORNERIE

Au préalable, il n'a pas eu à jouer le jeu des grands entretiens artificiels ou larmoyants pour se rendre là. On ne l'a pas aperçu non plus en train de fricoter, tout sourire, avec les grosses pointures de l'univers pop qui tournent en rotation forte sur la FM. Il ne fait pas dans la flagornerie. Peu de choses pouvaient laisser présager une invitation à l'hebdomadaire de variété. Tout droit sorti de l'underground, Loud c'est une vision. Et il n'en déroge pas. Authenticité et non-concession sont une spécificité du hip-hop et rares sont les fois où une émission comme TLMEP reçoit un rappeur qui les porte sans compromis sur ses épaules.

Derrière la plupart des invités, il y a une explication évidente qui justifie la présence sur le plateau, soit par un adoucissement préalable dans l'attitude, soit par une multiplication des apparitions télé, soit par une volonté à peine masquée d'appartenir à la clique et d'être de tous les talkshows. Loud, c'est différent. Sa présence ne s'explique par rien d'autre que l'engouement pour lui, ici comme en France. Un succès rare, un succès organique compte tenu qu'on n'a pas martelé son nom jusqu'à ce qu'il nous reste gravé dans la tête. Un succès YouTube, un succès Bandcamp. On ne l'a enfoncé de force dans la gorge de personne, ce qui le distingue d'une majeure partie des vedettes d'ici. Même celles remplies de talent en sont venues à se prêter au jeu un jour ou l'autre. Loud n'a pas et n'aura pas à faire ça.

Loud à TLMEP (au même titre que Dead Obies, ne les oublions pas), c'est la revanche des grands snobés dont Kaytranada, Roi Heenok et High Klassified font partie. À l'instar des figures mentionnées dans la phrase précédente, il doit son succès actuel au fait que les gens peuvent choisir. À travers l'abondance que seul Internet sait nous offrir, c'est sur lui, notamment, qu'ils ont arrêté leur choix. Mais peut-on en dire autant de nos vedettes qui tiennent en otage l'entièreté du showbiz queb depuis moult années? Leur notoriété est-elle imputable à un véritable succès populaire ou ne serait-ce pas plutôt par manque de choix qu'on les a « choisies »?

DE QUOI FAIRE ROUGIR LES IMPOSTEURS

La présence d'artistes comme Simon Cliche-Trudeau sur le plateau de TLMEP révèle toute l'absurdité du spectacle effréné dont nous sommes bien souvent contre notre gré les malheureux spectateurs. Elle nous fait demander : mais si ce type au parcours lent et calculé symbolise la patience, l'authenticité et la gloire plébiscitée qui ne requiert pratiquement pas l'intervention d'une source externe, que câlissent donc tous ces visages-parasites qui nous sont imposés dans notre téléviseur soir après soir? Pourquoi n'a-t-on pas que des Loud?

Loud, c'est la nourriture dite « santé » à l'épicerie. Elle a de quoi faire rougir les aliments des autres rayons qui se retrouvent alors, par opposition, à être nocifs pour la santé. Mais pourquoi voudrait-on nous faire avaler des trucs qui nous rendent malades? Ne devrait-on pas justement se nourrir exclusivement de bouffe qui favorise une bonne santé? La lumière s'allume et on comprend instantanément que tout ça n'a aucun sens. Absurde comme ça.

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Ce n'est pas d'ailleurs sans rappeler les regrettés journaux spécialisés en scène locale qu'on plaçait en évidence dans les cafés de la métropole au début des années 2000s. Sur leur page couverture figuraient les Karkwa, Malajube, We Are Wolves et aRTIST oF tHE yEAR. Je me plaisais bien à imaginer les candidats de Star Académie et autres Marie-Chantal Toupin franchir chaque matin les portes de ces commerces pour réaliser l'immense imposture qu'ils se révélaient être.

Être dans les souliers de la vieille garde qui s'entête – à grands coups de quiz télé dont le cachet suffit à payer les voyages à Cayo Coco à longueur d'année – à ne pas vouloir céder sa place à la jeunesse, c'est le sentiment d'imposture qui s'emparerait de tout mon être.

Sans compter que cette vieille garde est souvent la même qui s'est amusée pendant des lunes (encore aujourd'hui) à moquer, étouffer, parodier et infantiliser la voix des opprimés et des jeunes de la rue pour qui le seul espoir d'être un jour entendu réside dans le rap. Cette même vieille garde qui, aujourd'hui, dans un souci de prendre un coup de jeunesse, s'imagine pouvoir piger éhontément dans la culture qu'elle s'est pourtant affairée à avilir pendant des décennies.

PAS DE COMPTE À RENDRE AUX MONONCLES

Acclamé par la critique en France, on n'a plus le choix de prendre Loud au sérieux ici. Lucide et parfaitement au fait qu'on a longtemps fait montre de condescendance à l'encontre du mouvement dont il appartient, le rappeur gullywoodien n'a même pas besoin de placer le moindre mot pour que l'on saisisse le malaise que sa simple présence suscite dans le paysage.

Loud Lary Ajust, comme bien d'autres, est le fruit d'une scène boudée, malmenée et dont l'histoire et la genèse demeurent un mystère pour ses plus jeunes adeptes, faute d'avoir été prise au sérieux par l'industrie. Qui aujourd'hui, parmi les 25 ans et moins, saurait identifier les principaux acteurs du fameux « nettoyage » qui a insufflé au rap queb un vent de renouveau au tournant des années 2000s?

Les artisans du mouvement ont dû redoubler de débrouillardise pour en arriver où ils sont et c'est grâce à cette résilience qu'ils peuvent désormais porter un regard mi-torve mi-baveux sur les mononcles qui n'ont jamais cru en eux. Le rap est numéro 1 à travers le monde et Loud, qui est sa figure de proue au Québec, est sur le point de conquérir la France. Alors assieds-toi ma tête grise et comprends bien que d'aucune façon tu n'as participé à ce succès de même que ceux à venir. Tu n'y es pour absolument rien et le rap québécois continuera de surprendre avec ou sans ton approbation.

Crédit photo : MANNY - Visuel : Stacy Bellanger Bien-Aimé

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