Sabrina Comeau est une étudiante en marketing de la mode à l’UQÀM qui aime les humains qui l’entourent et qui apprécie le rap, qu’elle a même déjà pratiqué en compagnie de son copain, le rappeur Quadracup.

Avant le début du mois de juillet, c’était de cette façon que la jeune montréalaise décrivait sa vie. Puis, elle a décidé de prendre la parole sur son compte Instagram (@antiyyou) pour dénoncer un homme qui l’a agressé. Depuis, tout a un peu changé. Suite à sa publication, de nombreuses personnalités publiques aimées des québécois ont été dénoncées pour différents types d’agressions, et notre société est confrontée pour la première fois à un de ses côtés les plus sombres.

Parce qu’il est important pour l’équipe de HHQc.com de laisser la parole aux personnes touchées par cette vague, nous avons rencontré Sabrina ainsi que Quadracup afin de revenir sur ces semaines qui ont changé la vie de la jeune femme à tout jamais.

Pourquoi dénoncer plutôt que passer par le système légal?

Suite à cette vague de dénonciations, de nombreuses personnes ont posé la même question : pourquoi les victimes ne passent-elles pas par le système judiciaire au lieu de dénoncer les agresseurs sur les réseaux, parfois de façon anonyme?

« Personnellement, j’ai déjà été involved avec la police par rapport à un de mes exes, explique-t-elle, et ç’a été vraiment difficile. Si j’avais continué les démarches, ça ferait deux ans aujourd’hui et je serais en cour live. Est-ce que ça me tente vraiment de revivre tout ça pendant des années, et que trois ans plus tard ça ne soit toujours pas réglé, sans garantie d’avoir gain de cause? C’est pour ça que beaucoup de victimes ne continuent pas avec le processus légal, parce qu’on veut move on de ça, de ces traumatismes. Si ça prend des années pour qu’un cas passe à travers le processus judiciaire, comment on fait quand il y a des milliers de cas à régler comme en ce moment? Le système n’est pas bâti pour ça. Alors on se retrouve avec des vagues de dénonciation. »

Cette vague de dénonciations est arrivée comme un ouragan sur le Québec, mais aussi dans la vie de Comeau, qui ne pouvait imaginer l’ampleur de l’impact de son témoignage. Une dizaine de jours plus tard, elle avait gagné plusieurs milliers d’abonnés sur Instagram, en plus de devenir, un peu malgré elle, le visage de cette vague.

S’il est difficile de prendre la parole pour dénoncer, il l’est tout autant de l’assumer lorsque la dénonciation prend des proportions inattendues. Sauf que même face au malaise, la jeune femme a compris l’importance de cette prise de parole.

« Honnêtement, j’ai été mal à l’aise pendant un bout, avoue Comeau. Je me sentais coupable parce que je sais que ç’a ramené des choses à la surface qui ont pu faire souffrir des gens. D’un autre côté, j’étais contente parce que si autant de monde ont été inspirés par ma dénonciation, c’est qu’il y a un vrai problème dans la société qui touche toutes ses sphères, comme on a pu le constater. Ça prouve que n’importe qui peut être un agresseur, et parfois sans même le savoir ».

Accepter que le problème existe

Cette dernière notion est d’une importance capitale. Parce que si certains comportements dénoncés ne laissent aucune place à la nuance ou le pardon, d’autres sont plutôt liés à un manque d’éducation au niveau systémique qui rend parfois difficile la compréhension de ces enjeux.

Si cette vague a un effet de conscientisation important, l’évolution des pensées passe également par des conversations compliquées entre boys. C’est ce que pense Quadracup, qui multiplie les interventions avec ses amis depuis quelques semaines.

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« Avant, je parlais pas vraiment de ça avec mes amis, admet-il, mais depuis un moment, je chill avec les boys et c’est juste de ça qu’on parle. Ils veulent toujours mon point de vue, souvent le point de vue de Sabrina aussi. On dirait que pour certains, ils en ont jamais parlé de leurs vies. »

Comeau renchérit : « À la base, il y a un gros manque d’éducation je pense, le consentement, c’est pas nécessairement quelque chose qu’on aborde clairement à l’école ou en privé. Si tu es un gars et que tu entends des rumeurs sur ton meilleur ami, je peux comprendre que c’est difficile de l’accepter. Tu penses que tu le connais, et comme les hommes agissent différemment avec les autres hommes qu'avec les femmes, ça peut être dur à imaginer pour un gars qui pense bien connaître son ami. Mais au final, pourquoi une femme sur trois au Québec affirme avoir subi un viol, mais personne ne connaît d’agresseur? »

Déconstruire le doute

Pourtant, vu le nombre de dénonciations qui sont sorties dans les dernières semaines, les surprises ont dû être nombreuses pour les entourages de personnes concernées. Toutes sortes de réactions ont suivi, allant de la dissociation d’amis et groupes de longues date au scepticisme face aux accusations. Certaines personnes ont même accusé les dénonciatrices d’exposer leurs agressions pour recevoir de l’attention sur les réseaux.

« Ce n’est pas une attention que j’aurais voulu, et ça va me suivre toute ma vie, admet Comeau. Je dois avancer en étant “l’agressée” de quelqu’un, ce que tout le monde sait maintenant et c’est pas un poids social agréable à porter, parce que je sais que ma vie ne se limite vraiment pas juste à ça. »

Face à ce genre de propos, le réflexe du public est malheureusement souvent de dévier le blâme vers les victimes.

« Les gens pensent que le fait de sortir dans les bars ou de s’habiller de façon un peu osée, c’est de se mettre plus à risque, regrette la jeune femme. Mais rendu là, qu’est-ce que les femmes doivent faire? Ne plus sortir de chez elles, se couvrir le corps au complet parce qu’elles sont à risque? Pour se protéger des hommes? Ce n’est pas à nous de se protéger, c’est aux hommes de changer leur vision de la femme. On a le droit de faire ce qu’on veut sans devenir des cibles. »

Main dans la main avec Black Lives Matter

Celle qui a démarré cette vague avoue vouloir prendre un peu de recul, notamment pour laisser la voix aux personnes racisées qui ont vu le mouvement Black Lives Matter être un peu estompé par les dénonciations.

« C’est particulièrement important parce que les personnes racisées sont souvent les gens les plus affectées, explique-t-elle, et souvent les moins écoutées lorsqu’il est question de d’inconduites sexuelles. Je suis très consciente que je suis une femme blanche qui est conforme aux standards de la société, et c’est pour ça qu’on m’a écouté. Mais on m'a assez écouté, c’est le temps de laisser la place à ceux qu’on écoute jamais et qu’on opprime tout le temps. C’est pour toutes les femmes ce mouvement, pas seulement les femmes blanches. En fait, c'est pour tout le monde, parce que les hommes peuvent aussi être victimes, il ne faut pas l'oublier. »

Face à ce mouvement dont l'ampleur ne cesse de grandir, la jeune femme croit fortement que ce n'est qu'un début. Par contre, la suite se passera peut-être sans elle, ou du moins, sans qu'elle continue à être un des visages importants de cette vague.

« Je ne pense pas que ça va s’arrêter là, parce qu’on a vraiment secoué des trucs profonds ici, avance Comeau. Je ne sais pas si je continuerai personnellement à m’impliquer à ce point dans le mouvement, mais il y a des gens qui militent pour ces choses-là depuis des années, et c’est l’occasion pour ces personnes de revendiquer des vrais changements. »

Photo : @antiyyou

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