Nous sommes en 2019 et la gent féminine est catégorisée plus que jamais dans le hip-hop québécois. Que ce soit avec des événements de all-girl hip-hop ou des émissions de radio avec des panels de females MCs, il semble qu'en voulant mettre de l’avant la contribution des femmes au rap, le monde culturel les stigmatise malencontreusement.

Lors d'une entrevue avec HHQc.com, Sarahmée, qui lance un nouvel album prochainement, remarquait qu’on ne devrait pas parler de rap féminin. « Le rap féminin n’existe pas, le rap n’est pas plus féminin que masculin », expliquait-elle. Imposs a aussi déjà partagé le fait que sa sœur Jenny Salgado, alias J.Kyll, était celle qui a vraiment tout géré côté organisationnel et négociations d’affaire pour le groupe Muzion. Dans cette veine d’idées, nous avons décidé de scruter l’histoire du rap game québécois pour identifier la place fondamentale qu’on prit les femmes à travers les 35 dernières années. Nous nous sommes entretenus avec J.Kyll et Felix B. Desfossés à ce sujet.

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Années 1980 : les pionnières

C’est simple, en ce qui à trait au rap québécois, les femmes ont été de véritables pionnières en terme de contenu, de performance et d’enregistrements. Il est trop facile d’ignorer le rôle fondateur que des rappeuses comme Blondie B et les membres du Classy Crew ont joué. D’après Felix B. Desfossés, véritable historien de la musique, elles ont été les premières dans plusieurs domaines. La première rappeuse québécoise est Ludmila Zelkine, alias Blondie B qui, vers 1983, rappait sur les scènes de bars en plusieurs langues. Dès lors, le respect était peut-être un peu plus difficile à gagner pour les female MCs dans un game dominé par les hommes anglophones. Blondie B pouvait rapper parfaitement dans les deux langues officielles, en plus du russe et de l’espagnol, ce qui lui a permis de s’établir de façon concrète et d’intégrer la scène.

Nous avons aussi récemment eu la chance que Felix, également collaborateur HHQc.com, nous fasse une topo sur le premier événement hiphop au Québec en 1984. Le groupe Classy Crew, avec les rappeuses Wavy Wanda et Baby Blue, y participait. La participation du crew à l’émission Club 980, sur CKGM, animée par Mike Williams, met hors de tout doute le niveau d’acceptation des femmes dans le game. Finalement, Freaky D serait la première MC a lancé un disque en 1986. Ce qui revient à dire que, même si cette époque du rap québécois est souvent ignorée, le rôle des femmes sur la scène était clair et net. La conclusion que l’on peut en tirer, c’est que, « dans le temps », les femmes faisaient naturellement partie intégrante du game. Blondie B rapporte qu'il y avait déjà quatre rappeuses à une époque où il y avait très peu de rappeurs en général.

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Années 1990 : earn your spot

C’est essentiellement le même message que J.Kyll nous a relayé : « Avant l’arrivée des médias sociaux et des studios maisons, c’était vraiment basé sur les skills. Tu étais dope ou tu l’étais pas, on contribuait tous au mouvement hip-hop, peu importe les genres. » Pour la leader de Muzion, que ce soit dans les centres jeunesse du quartier montréalais Saint-Michel, dans un cypher à NDG ou dans les salles modestes comme le Petit Café Campus, tout le monde se battait pour son spot.

Puisque le milieu anglophone avait une longueur d’avance. La scène créole et franco ont dû mettre les bouchées doubles. Même si les femmes ont toujours fait face à plus d’obstacles, elles arrivaient à cimenter leur places grâce à leurs skills indéniables. « Malgré l’identité féminine qui évolue différemment pour chaque artiste, on a toutes pris notre place sur nos propres termes », explique la rappeuse.

Si la commercialisation du rap américain dans les années 90 a fait passé le focus aux MCs à part égal comme Roxanne Shanté et Queen Latifah à l’image d'autres comme Lil Kim et Foxy Brown, cette vague ne se faisait pas sentir au Québec. « Même des groupes poussés par les labels comme La Gamic, ce n’était pas vraiment en mode voici des filles rappeuses », rappelle J-Kyll. « Toutefois, il y avait un grand manque à gagner côté enregistrement et productions ce qui à ce jour reste un boys club dans la belle Province. Quand Muzion a commencé à avoir besoin de beats, j’ai dû tout faire et apprendre moi-même. C’est dommage parce qu'un bon beat qui bang c’est vraiment impossible de l’associer à une femme ou un homme, c’est la partie la plus neutre du hip-hop. », évoque-t-elle.

À travers les ateliers qu’elle donne dans les écoles, Jenny Salgado remarque l’influence insidieuse des médias sociaux sur les jeunes rappeuses de la relève. « Dans cette époque Instagram, ces jeunes femmes pensent que l’image est essentielle pour se lancer dans le rap. Alors qu'ici au Québec, ce qui reste inébranlable, qui nous est propre et très appréciable, c'est la valeur primordiale du propos, de l'ensemble de l'oeuvre, le “Qui es-tu, derrière l'image?” »

Si le game offre d’emblée toujours plus de privilège aux hommes et si l’industrie en général souffre de misogynie systémique, nous espérons avoir pu démontrer qu’à l’époque de Dee ou de Skandal, il n'y avait pas de distinction de « rap féminin ». Simplement de dope MCs et avec les Meryem Saci, Naya Ali et Sarahmée d’aujourd’hui, on ose espérer revenir à ce genre de climat culturel en 2019.

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