Le média référence en rap français Booska-P l’avait surnommé « le plus français des rappeurs nord-américains », une distinction à la hauteur des ambitions transatlantiques d’Enima. Dès son arrivée dans le paysage rap québécois, le DZ d’Amérique s’était illustré comme l’un des chefs de file d’une nouvelle vague d’artistes représentant les quartiers défavorisés de la métropole. Jusque-là dominée par des artistes blancs, l’arrivée d’Enima, 5Sang14 et autres Izzy-S avait complètement rebrassé les cartes d’une scène longtemps sclérosée par son quasi-conformisme au profit d’artistes issus des communautés racisées. Ces derniers ont, par la même occasion, prouvé aux citoyens montréalais tournés vers la France et les États-Unis qu’une musique à leur image existait bel et bien au Québec, et qu’elle pouvait même exploser des records de visionnement.

Cinq ans après avoir montré au rap québécois ce dont il est capable, Enima revient conquérir le marché hexagonal. L’album Resilience voit le jour deux ans après la sortie du projet De rien dont le point d’orgue Toute la nuit mettait en vedette le jeune rookie VT. Les affres de la criminalisation et du battage médiatique en toile de fond, le rappeur d’origine algérienne y approfondit son univers de désinvolture individualiste faite de femmes, d’armes à feu et de liasses de billets, toujours avec la pointe de folie qu’on lui connaît.

Dans le morceau d’ouverture Letter From Montreal, Samir Slimani, de son vrai nom, écoute un message vocal d’un de ses proches qui lui rappelle qu’il sera toujours le king de la ville, Awedt Ainy d’Oum Kalthoum en fond sonore. Malgré son exil, c’est cette position de suprématie qu’Enima entend occuper, le signifiant maintes fois durant l’album : « Dans mon quartier j’ai statut présidentiel », « Chez moi j'ai été élu comme le maire, tu peux m'appeler Denis Coderre ».

Sur le menaçant Mr. Smith, le rappeur décrit un vécu aussi faste en richesse qu’en menaces et pose les bases d’un univers soigneusement décrit dans ses moindres détails. Tout le long de l'album, le rappeur montréalais met de l’avant ses talents d’écriture mûrement développés, ne se montrant pas avare en anecdotes invoquant pratiques de proxénétisme et d’armes de poing. Ses thématiques de prédilection y sont ainsi déclinées avec une maîtrise supplémentaire qu’à son habitude. En effet, selon ses proches, Enima aurait porté une attention particulière à l’écriture de ses textes, contribuant à le positionner comme un rappeur incontournable de la scène francophone en Europe, bénéficiant également du cosign d’une des plus fines plumes de la presse rap française.

Toujours plus en marge (« J'ai pas trop d'amis rappeur, l'industrie c'est le vestiaire des danseuses nues »), le rappeur d’origine algérienne s’est tout de même entouré de featurings de marque, ceux-ci offrant une véritable plus-value à l’univers de Resilience. Et c’est sans surprise qu'il parvient à leur tenir tête. Les rappeurs PLK, TK et Norsacce Berlusconi viennent ainsi prêter main forte à Enima. Mention spéciale à Norsacce qui se fend d’un S/O à Izzy-S et VT (« S/O Izzy-S et Free VT ») sur une production drill et mélancolique, renouvelant l’amitié de longue date liant le collectif 667 à la scène rap québécoise. À une époque où les collaborations transatlantiques se font rares, celle-ci fait particulièrement plaisir à entendre.

Un pied de nez aux délateurs (« Tu travailles avec la police et t'es payé moins que la nourrice », « J'connais par cœur tout le poste de police sauf la salle des indics, là où toi tu t’appliques ») et à la concurrence coincée au pays (« J’sors un album et le rap du Québec s’appauvrit »), l’un des représentants du rap du quartier Saint-Léonard à Montréal poursuit sa montée qualitative en publiant son projet le plus abouti depuis longtemps, portant fièrement son vécu comme badge d’authenticité (« On a parlé de nos vies, ils ont dit que c’est de l’apologie »).

Photo : Enima (Instagram/enimamms)

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