Il y a seulement sept heures de décalage entre le Québec et l’Ouganda. Pourtant, vu d’ici, l’Afrique est trop souvent perçue un monde totalement différent, dont la qualité de vie est constamment stigmatisée par la myriade de stéréotypes qui composent le portrait que le québécois moyen dresse du continent africain. Sauf qu’il suffit de laisser Monk.E parler de l’Afrique qu’il connaît pendant quelques minutes pour que le rappeur, graffeur et globe-trotteur livre une perspective qui rappelle que l’existence humaine, peu importe ses nuances, est composée pour tous de joies, de peines, d’obstacles mais surtout, de sourires.

Il faut dire que la vie ougandaise semble plutôt bonne pour celui qui est coincé dans ce pays d’Afrique de l’Est depuis février. Propulsé par la sortie de son album To Suffer with a Smile On / Souffrir avec le sourire aux lèvres en collaboration avec l’ougandais Zex BilangiLangi il y a quelques semaines, Monk.E vit un changement de cap quelque peu imprévu mais si bénéfique.

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Grâce à la magie de l’Internet, les sept heures entre Montréal et Kampala se sont transformées en millièmes de secondes alors qu’on a joint l’artiste par vidéoconférence pour discuter de cette nouvelle étape dans sa carrière.

Plus proche du public que jamais

Lorsqu’on lui demande comment il vit sa première sortie d’album à l’étranger, le visage de Monk.E s’illumine. « Man! Je n’ai jamais vécu ce genre de feedback dans toute ma vie, s’exclame-t-il. Les DJs jouent ma musique dans les stripclubs, dans les after party à 4h du matin, les gens m’envoient des vidéos d’eux qui dansent sur mes chansons, c’est fou! »

C’est qu’il y a en Ouganda un phénomène de proximité qu’on ne retrouve pas au Québec. La validation d’un artiste ne passe pas nécessairement par un processus médiatique institutionnalisé, mais plutôt par l’approbation des DJs locaux, à l’image de la scène dancehall en Jamaïque ou du rap d’Atlanta. Dans le cas de Monk.E, l’artiste semble plutôt faire l’unanimité, lui qui a lancé son album en direct de la radio nationale, mais dont la vie se passe dans les quartiers populaires de Kampala.

L’amour que contient ces quartiers dépasse largement leur pouvoir économique, qui est constamment rappelé à l’artiste dans son quotidien malgré un contexte social qui l’a amené à « faire le party plus que jamais auparavant ».

« La vie ici est festive, tout comme l'album, avoue Monk.E, mais tout ça a été fait alors que ma compassion était testée quotidiennement de voir les gens mendier, de voir la réalité de tes amis qui ne mangent qu’une fois par jour. Tout ça pendant qu’on s’amusait, qu’on buvait, qu’on fumait, et mes boys vivaient cette réalité-là à côté. Je pense que c’est pour ça que les gens sont aussi généreux dans leur support : ici, le fait d’être fan est un honneur, pas une honte. »

Chercher l’inconfort

Poussé par sa curiosité et son ouverture d’esprit, le triple champion national du End of the Weak apprécie particulièrement ce défi d’intégration aux nouvelles cultures.

« Avec le temps, explique-t-il, j’ai développé une forme d’inconfortabilité dans le confort. Tout le long de ma vie, je me suis créé des circonstances inconfortables et je me sentais plus confortable là-dedans. Ça fait en sorte que mon quotidien n’est pas dans la routine, je dois constamment me questionner sur ma place dans la société dans laquelle je me trouve. Ç'est pour ça que je voyage. »

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S’il a connu des moments plus difficiles en Ouganda, notamment des vols ou de la violence, Monk.E est désormais bien installé dans le paysage artistique du pays. Montréal peut sembler bien loin, mais c’est pourtant grâce à son vécu dans la métropole que le rappeur a pu trouver sa place en Afrique.

« Ce qui m’a permis de me faire approuver par les gens en Ouganda, indique Monk.E, ce n’est pas mon talent, mais mon travail au niveau de la déprogrammation subconsciente du racisme qu’on transporte. Ça vient beaucoup du travail que j’ai fait à Montréal dans la communauté afrocentriste, le rap, le dancehall, etc. Ma capacité de m’ouvrir à d’autres cultures a fait que je n’étais pas un extraterrestre dans la leur, et donc rapidement ils ont pu m’accueillir comme un frère. »

Mélanger les langues pour faire danser le globe

Non seulement accueilli comme un frère, il en a en plus trouvé un en la personne de Zex BilangiLangi, qu’il décrit comme « une nouvelle star du ghetto en Ouganda ». Sur To Suffer with a Smile On / Souffrir avec le sourire aux lèvres, les deux artistes font la paire, et on a droit à un Monk.E plus léger, dansant, qui propose de loin son album le plus accessible en carrière, et ce, malgré la nature quadrilingue de l’album (français/luganda/anglais/espagnol). La production 100% ougandaise combinée au mode de vie festif a créé le moule parfait pour que le MC trouve cet équilibre entre profondeur poétique et contenu accessible.

« L’album est inspiré par la célébration, précise-t-il, et ça découle d’un objectif que je me suis fixé il y a des années, c’est-à-dire de devenir plus léger dans ma musique, sans pour autant devenir vide. Et je crois qu’avec cet album, je commence a y arriver. »

La légèreté amenée par le dancehall africain omniprésent sur l’album pourrait ouvrir de nombreuses portes au rappeur, qui se voit comme un artiste international plus que jamais. En signant des couplets en français, anglais et espagnol en plus du contenu en luganda, Monk.E propose désormais une musique globale, qu’il peut exporter et performer un peu partout sur la planète.

« L’idée qu’une chanson puisse être cohérente tout en étant dans cinq langues différentes a été prouvée par un groupe comme Nomadic Massive, avance-t-il. Puis, j’ai réalisé avec le temps qu’en tant qu’artiste, ma niche est quand même limitée. Mais aujourd’hui, je peux combiner ma niche québécoise, ma niche ougandaise et ma niche mexicaine, en fait. Tout ça pour développer un branding qui est international, quitte à perdre une petite partie de mon public qui est strictement francophone. »

Partir pour mieux revenir

Alors qu’il doit rentrer au Québec en juillet, on sent chez Monk.E un sentiment d’attache fort pour le pays africain qu’il visite pour une sixième fois. Au point où, aux vues de l’amour et du respect qu’il reçoit en Ouganda, il pourrait considérer d’y rester sur une base permanente.

« La connection avec l’Ouganda est à un point tel qu’aujourd’hui, si je devais choisir entre le Québec et l’Ouganda, je pense que je choisirais de continuer à faire des albums en Ouganda », reconnaît MonkE. « Ça m’apporte plus de joie immédiate. Ici, on me reconnaît dans la rue, dans les taxis, etc. Les gens dansent sur ma musique! Alors le feeling est vraiment différent de ce que j’ai connu avant, et ça fait réfléchir. »

Dans tous les cas, le rappeur fera son retour au Québec cet été, même si ce n’est que pour mieux repartir aux quatre coins du globe plus tard. Avant un éventuel retour en Ouganda et de nouvelles collaborations avec Zex BilangiLangi, qu’il espère même ramener à Montréal dans l’avenir.

« J’ai du mal à attraper Zex ici, il est vraiment en train de blow up! Alors je veux le faire venir à Montréal pour lui partager ma vie, nos façons de créer, notre culture, comme lui l’a fait pour moi ici. Puis comme ça, cet échange devient total, au lieu que ce soit seulement moi qui aille m'immiscer dans la culture ougandaise. »

En attendant les premiers pas de Zex BilangiLangi au Québec, l’album To Suffer with a Smile On / Souffrir avec le sourire aux lèvres est disponible sur toutes les plateformes d’écoute en continu.

Photo : Fred Bugembe Photography (Courtoisie Monk.E)

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